Conspiration : Nouvelle Religion
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Défiances modernes, théories du complot et critique radicale

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Défiances modernes, théories du complot et critique radicale Empty Défiances modernes, théories du complot et critique radicale

Message  Newo Mar 13 Sep - 10:48

I - Défiances modernes
par Philippe Corcuff, enseignant-chercheur, engagé dans les gauches radicales et altermondialistes

Texte paru dans Le Monde daté du 22 juillet 2010 à l'occasion des XXVe Rencontres de Pétrarque de Montpellier organisées par France Culture/Le Monde sur le thème « En qui peut-on avoir confiance ? »


La vague des théories du complot, signe du désarroi contemporain.

Les discours conspirationnistes - 11 septembre 2001, grippe A (H1N1), climatosceptiques, etc. - s'engouffrent dans la conjoncture de délégitimation relative des paroles autorisées. Internet en est un des conducteurs principaux. Nombre de propos de statuts très divers (de simples préjugés à des énoncés appuyés sur des travaux scientifiques consistants) sont alors qualifiés de « thèses officielles », et par là même identifiés a priori comme probablement mensongers. Comment l'indispensable critique sociale pourrait-elle alors ne pas être embarquée dans une dynamique généralisée de déréalisation ?

Sont visées ici les théories du complot systématiques, c'est-à-dire des trames narratives expliquant principalement l'histoire humaine par les manipulations cachées qu'opèreraient quelques individus puissants. Je ne conteste pas l'existence (bien réelle) de « complots » et autres « coups tordus » secrets dans l'histoire humaine. C'est l'hypothèse selon laquelle ils donneraient le « la » à cette histoire qui est en cause.

Des réducteurs d'angoisse

Différents facteurs ont vraisemblablement favorisé les succès relatifs des théories du complot. Le recul du marxisme à partir de la fin des années 1970, non compensé par une diffusion large de la culture des sciences sociales, a fait régresser les analyses structurelles, mettant l'accent sur les structures sociales (dynamique capitaliste, rapports de classes, de genres et de races, etc.) contraignant les actions des individus, même les plus puissants.

Or les théories du complot se présentent comme des mises en récit intentionnalistes, au sein desquelles des intentions individuelles apparaissent centrales. Elles sont ainsi en phase avec d'autres schémas intentionnalistes qui ont davantage pénétré l'espace public : figure du calcul coûts/avantages individuel de l'Homo œconomicus de l'économie néolibérale ou diverses explications psychologiques.

Á cet aspect conjoncturel viennent peut-être s'associer des processus de plus longue portée charriées par l'individualisme contemporain : les individus davantage individualisés de nos sociétés ont tendance à privilégier des interprétations en termes d'intentions et de responsabilités individuelles.

Par ailleurs, plus fragilisés dans leurs repères, ils trouveraient dans les explications conspirationnistes de nouvelles certitudes simples et rassurantes face aux complications d'un monde réclamant davantage d'eux. Les théories du complot seraient tout à la fois des indices d'un certain brouillage des repères, des réducteurs d'angoisse et des dispositifs de relance de l'incertitude, dans un mouvement circulaire.

Le doute participe pourtant bien de la construction philosophique du sujet occidental moderne. Mais au travers des dynamiques conspirationnistes actuelles, il semble s'auto-dévorer, mettant à bas des certitudes établies à la recherche de nouvelles, mais sans pouvoir se stabiliser, en tendant à relancer continûment l'indécision.

Une critique sociale renouvelée dessinerait la possibilité d'un doute plus contrôlé, freinant les dérives d'un doute absolu en laissant cependant ouvertes des zones floues. Quelque chose comme une perplexité raisonnée, attentive aux fragilités des individus face au poids des logiques sociales.


Dernière édition par Newo le Mar 13 Sep - 10:55, édité 1 fois

Newo

Messages : 345
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Défiances modernes, théories du complot et critique radicale Empty Philippe Corcuff

Message  Newo Mar 13 Sep - 10:54

II - Les théories du complot contre la critique radicale (entretien avec Philippe Corcuff)

Cet entretien est paru dans Alda ! (Fondation syndicale Manu Robles-Arangiz), supplément à Enbata (hebdomadaire politique basque), n°2131, 3 juin 2010, à l'occasion d'une conférence publique organisée par l'association altermondialiste basque Bizi! à Bayonne le 18 juin 2010 sur le thème : « "On nous cache tout, on nous dit rien" : A-t-on vraiment un esprit critique quand on croit aux complots ? »

Alda ! : Qu'est-ce qu'on entend par « théories du complot » ?


Philippe Corcuff : C'est expliquer principalement l'histoire humaine par les manipulations cachées opérées par quelques individus puissants. C'est une vision fausse du cours du monde du point de vue des grandes pensées critiques, de Marx à Bourdieu. Pourquoi ? Car ces théories critiques mettent l'accent sur les structures sociales (comme la dynamique capitaliste, les rapports de classes, de genres, la domination culturelle, etc.) qui contraignent les actions des individus, même les plus puissants. Alors que pour les théories du complot, ce sont les intentions de quelques individus qui apparaissent toutes-puissantes. Je vise bien ici des théories du complot, mais cela ne remet pas en cause l'existence (bien réelle) de « complots », de manipulations cachées, de « coups tordus », etc. dans l'histoire du monde. C'est l'hypothèse selon laquelle ils donneraient le la à cette histoire qui est en cause1.

Il y a deux grands pôles dans les théories du complot. Il y a les théories hard, les plus déraisonnables par rapport aux connaissances disponibles, qui peuvent être associées à des relents racistes, comme le négationnisme. Et il y a des théories soft, plus raisonnables, comme les tonalités conspirationnistes qu'on trouve dans la critique des médias de Noam Chomsky. Ces formes soft demeurent toutefois erronées. Par exemple, une sociologie critique comme celle de Bourdieu met en évidence que la domination médiatique est plus compliquée que « la propagande » et « la manipulation », même s'il y a une composante de propagande et de manipulation2.

Alda ! : Mais le doute vis-à-vis des vérités présentées comme officielles n'est-il pas légitime pour un esprit critique ?

Ph. C. : C'est là où la critique philosophique des théories du complot peut prendre le relais de sa critique sociologique. Il y a un risque que tout approche raisonnée ne soit engloutie dans les théories du complot par un doute illimité, un doute qui devient un quasi-absolu religieux, dans une logique auto-dévorante. Et alors la paranoïa peut tendre à remplacer l'usage raisonnable de la raison critique. Un des personnages de Shutter Island, le roman noir de Dennis Lehane adapté par Martin Scorsese, pointe bien le problème : « Vous avez réussi à vous convaincre que vous étiez toujours marshal et qu'à ce titre vous étiez venu enquêter à Shutter Island. Á cette occasion, vous avez découvert une vaste conspiration ; par conséquent, tout ce que nous pouvons dire ou faire pour vous prouver le contraire ne sert qu'à entretenir l'illusion du complot. ». Il faudrait pouvoir opposer une perplexité raisonnée à une telle dérive paranoïaque.

Alda ! : Les théories du complot ont-elles toujours existé

Ph. C. : Non. Les théories du complot n'émergent vraiment qu'au XVIIIème siècle, quand la croyance religieuse commence à reculer, des puissances humaines occultes remplaçant alors l'action divine. C'est ainsi contre la Révolution française qu'apparaît le thème du « complot franc-maçon ». Les théories du complot se développent ensuite au XIXème siècle : là « le complot juif » a la côte. Á partir de la révolution bolchevique de 1917, « le complot communiste » aura un grand succès jusqu'en 1989. Aujourd'hui, le « complot juif » s'est souvent transformé en « complot sioniste », l'anti-impérialisme peut se dégrader en « complot américain », le thème néo-conservateur du « choc des civilisations » a alimenté le créneau du « complot islamique », etc. La littérature d'espionnage et policière comme le cinéma et la télé contribuent à nourrir l'imaginaire conspirationniste : de James Bond à X-files et Da Vinci Code. Et internet est devenu un formidable amplificateur de rumeurs conspirationnistes : 11 septembre 2001, grippe A, réchauffement climatique, etc.

Alda ! : Quelles sont les conséquences de la diffusion des théories conspirationnistes au niveau du militantisme ?

Ph. C. : Tout d'abord, elles appauvrissent de manière manichéenne la critique sociale. Elles ne sont pas radicales, au sens étymologique de saisir les choses à la racine, mais superficielles. On manque ce qu'est le capitalisme, par exemple, si on a en tête James Bond. Il vaudrait mieux avoir à l'esprit la Matrice des Matrix ou Skynet des Terminators, qui pointent des machineries tyranniques qui échappent aux individus, y compris aux individus qui en profitent comme on l'a vu avec la récente crise financière. Ensuite, elles peuvent laisser entendre qu'il vaut mieux rester devant son ordinateur pour s'informer des derniers complots à la mode plutôt que d'agir quotidiennement contre les structures sociales oppressives et essayer d'inventer des formes alternatives dès maintenant.

Alda ! : Quelles sont les sources pour réagir ?

Ph. C. : Il vaudrait mieux lire Marx et Bourdieu, et d'autres penseurs critiques, plutôt que d'être happé par ce qui brille sur internet. Mais il y a aussi des sites anti-conspirationnistes à consulter, comme le site généraliste conspiracywatch ou le site sur le 11 septembre bastison.net ; d'ailleurs l'universitaire qui anime ce dernier site, le spécialiste de génie civil Jérôme Quirant, vient de sortir un petit livre pédagogique intéressant : 11 septembre et Théories du complot. Ou le conspirationnisme à l'épreuve de la science (Éditions book-e-book). Enfin, je signalerai l'excellent dossier du mensuel Alternative Libertaire dans son n°189 de novembre 2009.


Notes :
1- Voir P. Corcuff, « Le "complot" ou les mésaventures tragi-comiques de "la critique" », Mediapart.
2- Voir P. Corcuff, « Chomsky et le "complot médiatique". Des simplifications de la critique sociale », Mediapart.

Newo

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